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"Pédé", "sale négro" : au Cap d'Agde, ultra-violence et omerta frappent le village naturiste

 


Le 19 janvier, trois agents de sécurité du quartier naturiste du Cap d'Agde seront jugés pour une série de violences en réunion perpétrées sur au moins quatre victimes entre 2021 et 2023. Les services municipaux auraient-ils fermé les yeux pour couvrir un proche du maire ? Révélations.


Séparé du Cap d’Agde par une barrière de péage, le village naturiste attire chaque été 50 000 adeptes par jour, inspirant des reportages sur les orgies de la « Baie des cochons ». Mais la saison 2023 a été moins synonyme de sexe que d’ultra-violence : après trois mois d’enquête et une vingtaine d’auditions, l’unité des atteintes aux personnes du commissariat d’Agde a mis en cause trois agents de sécurité municipaux pour avoir passé à tabac des vacanciers, sur fond d’impunité et d’omerta.

Visé par quatre plaintes, Massimo M., 22 ans, chef de la sécurité du village naturiste, a été mis en examen le 6 décembre 2023. C’est aussi le cas de ses collègues Lorenzo R., 24 ans, et Jean-Luc B., 60 ans. Avec des circonstances aggravantes : avoir commis ces faits « en raison de la race ou de l’ethnie de la victime », ici Marcos O., un Brésilien de 54 ans. Démis de leurs fonctions début décembre, ils seront jugés à Béziers le 19 janvier pour « violences racistes en réunion ». Ils encourent dix ans de prison.

« PÉDÉ », « SALE NÉGRO » !

Marcos, habitué des lieux, noir de peau, raconte avoir d’abord subi, le 27 mai 2023, un « contrôle au faciès » de la part de Jean-Luc B. Parce que certaines personnes entrent par le littoral sans payer, des agents veillent, mais les hommes seuls uniquement seraient ciblés : « Maintenant, on nous demande notre carte huit fois par jour, et de façon agressive ! », explique Jens*, à l’unisson d’autres vacanciers.

Marcos, en règle, assure avoir été traité de « pédé » et de « sale négro », puis frappé, plaqué au sol par un deuxième agent, tandis que Jean-Luc B. aurait sauté sur sa jambe, brisée net. Hurlant, il essayait de joindre son compagnon, Mickaël, resté sur la plage. Son répondeur enregistrera Marcos criant : « Vous m’avez pété le pied ! – Tant mieux ! », lui réplique-t-on. Selon Marcos, Massimo M., venu en renfort, au volant d’une voiturette électrique, accompagné d’un mystérieux acolyte, aurait roulé sur sa jambe blessée. Souffrant le martyre – l’engin et son conducteur pèsent plus de 850 kg –, Marcos, cardiaque, est embarqué, une main sur la bouche. « Ils m’ont jeté, nu, à l’entrée du village », souffle-t-il. Mickaël accourt, polices municipale et nationale suivent. « J’ai vu les policiers faire la bise et ‘‘checker’’ ces agents qui nous narguaient s’indigne ce dernier. Les policiers nous ont dit qu’il était inutile de porter plainte. On a dû aller seuls aux urgences ! » Bilan : contusions et double fracture ouverte du tibia et du péroné, quarante-cinq jours d’interruption temporaire de travail (ITT), séquelles et stress post-traumatique. Marc Montagnier, l’avocat de Marcos, inscrit au barreau de Versailles, porte plainte le 13 juin auprès du procureur de la République de Béziers, Raphaël Balland, qui ouvre une enquête préliminaire le 30 juin. Mais il faudra plus de deux mois avant que les investigations débutent.


Placés en garde à vue le 5 décem­­bre, Jean-Luc B. et Lorenzo R., niant toute violence, qualifieront d’« agressif » le comportement d’un Marcos accusé de « filmer la plage » – ce que ce dernier dément. Couvert par ses subordonnés, Massimo M., en garde à vue lui aussi, nie en bloc. Comme il nie les tabassages de cet été-là, malgré des témoins formels.

Selon les éléments de la procédure judiciaire que Marianne a consultés, une autre scène de violence se déroule le 27 juin, soit un mois plus tard, vers 23 h 30. Sébastien V., 44 ans, est contrôlé par trois agents. Ivre mais doté d’un ticket, il reçoit, par-derrière, une série de coups de poing à la tête, se retourne et, dit-il, essuie d’autres coups au visage de la part d’un homme qu’il identifiera comme étant Massimo M., finalement stoppé par un collègue. Selon le portier d’une discothèque, Sébastien V. est « défiguré ». Prévenue, la police intervient et il désigne son agresseur, qui nie.

SENTIMENT D’IMPUNITÉ

Massimo a « sûrement » commis des violences à l’encontre de M. V., lâche un agent de sécurité témoin de la scène auditionné par les enquêteurs, tout en déplorant « plusieurs » faits de ce type au sein du village : « Quand il y avait un mec tout seul, bourré ou pas, les agents le contrôlaient et ça partait en sucette. » Conduit à l’hôpital, Sébastien V. a la lèvre fendue, divers traumas dentaires et de la face. Quatre jours d’ITT.

Saisonnier de 37 ans, Loïc B. aura, lui, sept jours d’ITT : le 9 septembre 2023, vers 3 heures du matin, Massimo aurait, dixit un témoin, d’abord menacé de lui « mettre une balle dans la tête » avant de le cogner sans relâche au visage pour savoir dans quelle ville se cachait son colocataire « Carlos », avec qui l’ex-copine de l’agent de sécurité était sortie. Se sachant recherché, le rival avait fui, terrorisé. « [Massimo] était furieux, genre en rage, pas dans son état normal », racontera Loïc B., dont le visage a doublé de volume. Traumatisme crânien, fissure du plancher orbital, hémorragie… Seule l’intervention d’un agent arrête le massacre. Menacée de mort, ainsi que sa famille, pour le dissuader de porter plainte, la victime, terrifiée, trouve le courage de le faire quatre jours plus tard. Témoin de la scène, son amie, choquée, est hospitalisée en psychiatrie.


Côté police, l’affaire est claire. Le 5 décembre, un enquêteur assène à Massimo : « Vous et certains agents municipaux avez pris pour habitude d’user de la force physique […] sur des personnes qui ne représentaient aucun danger. » Pourquoi cette violence gratuite chez un garçon au sourire enjôleur, champion d’Occitanie de kickboxing, qui s’exprime avec humilité et douceur lorsqu’un média l’interviewe après un combat ? Un témoin rapporte : « Tout le monde commence à se plaindre du comportement de Massimo au village naturiste. Il fait la loi et se montre trop violent. Personne n’ose s’en prendre à lui du fait de ses relations familiales. » L’enquêteur en déduit que ce « comportement » est « motivé par un sentiment d’impunité du fait que [son] père puisse entretenir des relations proches avec M. le maire ». Il ajoute : « La plupart des agents et témoins ont montré une certaine gêne à manifester la vérité de peur de représailles de [sa] part ou de celle de [son] père. »

Un témoin raconte que Massimo, capable d’user d’un « tutoie­ment arrogant » avec un policier, aurait répété à une victime : « Tu sais qui je suis ? » Qui est-il ? Le fils de David M**., fidèle parmi les fidèles de Gilles D’Ettore, maire (LR) d’Agde depuis 2001. Ex-patron de boîte de nuit, David M., délégué cantonal LR et président d’un comité des fêtes de la ville, devient en 2005 le directeur des entrées du « camp nat’ », où Massimo, agent de sécurité, le rejoint en 2021. Appelé à un meilleur poste, il voit son fils lui succéder en février 2023. Jolie promotion pour un em­ployé municipal de 22 ans, bombardé « responsable » d’un péage qui génère environ 2 millions d’euros par an.

Traitement de faveur accordé à un jeune homme bien né et très investi dans la campagne municipale de Gilles D’Ettore en 2020 ? « Absolument pas, répond l’édile. Cela faisait deux ans qu’il était en poste. Il donnait entière satisfaction. » À ceci près que, le 3 septembre 2021, « Mass’ » avait déjà fait l’objet d’une plainte pour violences volontaires déposée par Mohamed B., partie civile du procès à venir et victime d’une agression (trois jours d’ITT) dans l’enceinte du village, où polices nationale et municipale étaient intervenues. « Je n’avais aucune connaissance des faits », soutient D’Ettore.

SOUTIEN INDÉFECTIBLE

L’affirmation étonne venant d’un élu, ex-lieutenant de police, qui vante volontiers « la complémentarité des polices nationale et municipale » propre à sa ville. Celle-ci repose, assurait en 2020 son adjoint à la sécurité Jérôme Bonnafoux**, sur « un partage en temps réel des informations et une coordination parfaite des forces de l’ordre ». La commissaire Challiès, patronne des flics du cru qui a grandi à Agde, expliquait ainsi dans la revue municipale qu’elle « rencontre régulièrement le directeur de la police municipale** […] afin de faire le point sur les différents dossiers ». Ce partage a-t-il failli au point que le maire n’aurait pas été informé de plaintes visant un de ses propres agents ?

Le 19 juin, Marcos, la victime du 27 mai, l’informe de son agression dans un courriel resté sans réponse. Pourquoi ne pas avoir diligenté une enquête interne ? « Ne me cherchez pas des poux dans la tête ! » s’énerve D’Ettore. Le 2 juillet 2023, lorsque France Bleu Hérault révélait l’affaire, l’élu apportait illico son « soutien au service de sécurité ». Il nuance : « J’avais répondu en fonction des éléments en ma possession. La justice est saisie. Si ces actes sont avérés, je les condamne. »


Contrairement à deux autres agents municipaux accusés de violences, Massimo a conservé son poste jusqu’à ce qu’un juge le place sous contrôle judiciaire et lui interdise « toute profession en lien avec la sécurité ». Pour maîtres Debuisson et Montagnier, défenseurs de Marcos, « le maire porte une lourde responsabilité ». « Je ne me sens responsable de rien », réplique l’édile… qui, assure Loïc B., lui présentait pourtant ses excuses par téléphone le 11 septembre, « au nom de la ville d’Agde ». Ce que D’Ettore dément. Les fadettes, elles, confirment cet appel, dont il sera question à l’audience.

« ÇA ME HANTE »

Ce procès ne sera peut-être pas le dernier. Deux nouvelles victimes présumées se sont en effet manifestées. Le 6 août 2023, vers 23 heures, Nadjib* et son ami Reda*, âgés de 27 ans, entrés sans ticket au camp naturiste, étaient roués de coups par des agents. Embarqués en voiturette, expulsés à la barrière du village, ces deux réfugiés afghans, qui vivent en France depuis dix ans, appelaient le Samu quand un 4×4 BMW fauchait Nadjib. La cloison nasale enfoncée, il souffre de plaies diverses, de côtes et de cervicales brisées qui lui ont valu soixante jours d’ITT et des soins en cascade. « Ça me hante », confie-t-il, comme Reda, qui assure que le directeur de la sécurité figure parmi leurs agresseurs. Il apparaît sur les vidéos captées ce soir-là. Une plainte a été déposée fin décembre.

* Les prénoms ont été changés.

** Sollicités, David et Massimo M. ainsi que M. Bonnafoux et le directeur de la police municipale n’ont pas donné suite.


Marianne

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